Bien visible depuis la maison de mes parents, le pont d'Arciat fait partie des premières visions de ma petite enfance. Le souvenir ne m'en a jamais quitté.
Sa construction de 1900 à 1904 amena une grande animation dans le hameau. Ma grand-mère, qui était jeune à cette époque, m'en a souvent parlé. Pendant quatre ans, les nombreux charrois de matériaux; pierres, briques, bois divers, ont perturbé la tranquillité de ce coin, assez perdu auparavant.
Beaucoup d'habitants des communes alentour attelaient le cheval à la carriole et venaient le dimanche en famille voir l'avancement des travaux. L'afflux d'ouvriers travaillant à la construction de l'ouvrage fut une aubaine pour toutes les auberges des deux rives qui logeaient et nourrissaient tout le personnel. Cela suscita à Arciat l'ouverture d'un débit de boissons clandestin où les clients, paraît-il, venaient plus pour les charmes de la tenancière que pour les boissons qu'elle débitait.

L'inauguration, en 1904 le 4 septembre, fut une fête comme on n'en avait jamais vue dans la région, avec beaucoup de personnalités, des discours à n'en plus finir et un gigantesque banquet servi sous une tente dans la prairie à 600 convives. Dans l'après-midi, concerts par les fanfares, joutes sur la Saône, fête foraine .... Le soir, illuminations sur le pont et grand bal populaire ... Au pays, on garda longtemps le souvenir de cette journée.
Ensuite pendant quarante ans, le pont d'Arciat surnommé «Le pont de dentelles» en raison, sans doute, de la finesse des arches de décharge, assura un bon service entre les deux départements.
Je me souviens l'hiver, lorsque le vent du nord soufflait très fort, le pont émettait un sifflement bizarre, ce qui faisait dire à mes parents: « On entend siffler le pont, il ne va pas faire chaud cette nuit.
Ce nouveau trait d’union entre les deux départements marque profondément la vie des riverains en permettant des échanges impossibles avant : moulins et scieries de Bresse pour les gens de Saône et Loire ; foins de la prairie de Crêches pour les Bressans.


Les premières années après sa mise en service, le pont fut surtout utilisé par des attelages de chevaux pour le transport de marchandises ou pour le déplacement des personnes puis petit à petit pour les voitures et les camions.
L'été le pont servait quelquefois de terrain de rencontre pour des bagarres entre bergers de l'Ain «Les bressans» et ceux de Saône et Loire «Les picounas », Après plusieurs jours de défis, d'insultes et de chansons grivoises, rendez-vous était pris au milieu du pont pour un pugilat qui n'a jamais fait de blessés sérieux, mais «l'honneur» était sauf et chacun retournait de son coté, satisfait.
Un autre amusement des bergers consistait à transporter une lourde pierre depuis la rive et à la laisser tomber du haut du pont, près du bateau d'un pêcheur à la ligne installé près d'une pile.
Pendant la guerre de 39/45, lorsque les restrictions se firent de plus en plus dures, le pont fut emprunté par un nombre de plus en plus important de gens qui, à pied ou à bicyclette, venaient dans les fermes pour essayer de trouver un peu de ravitaillement; des œufs, des fromages, des pommes de terre, quelquefois une volaille pour les plus chanceux. Il s'agissait surtout de lyonnais qui prenaient le train jusqu'à Crèches, ceci malgré la surveillance des gendarmes à l'entrée du pont.
Lorsque la zone sud fut occupée en novembre 1942, le gouvernement de Vichy instaura (sur ordre des occupants allemands) la garde des ponts et des voies ferrées pour empêcher le sabotage par la résistance. A Cormoranche, tous les hommes valides furent réquisitionnés pour garder le pont toutes les nuits. Une grande guérite fut installée côté Ain. La garde se résumait surtout à des parties de cartes dans la guérite.
Après l'annonce du débarquement en Normandie le 6 juin 1944, l'armée de la résistance de l'Ain dressa des barrages aux entrées de Cormoranche, vers le cimetière, au pont d'Avanon et le troisième à la croix d'Arciat avec un poste avancé vers la culée du pont. Les allemands furent bien sûr prévenus et le 9 juin après-midi, ils investirent le village des trois côtés où étaient installés les barrages. Les allemands sont arrivés sur le pont d'Arciat vers 1 heure de l'après-midi, ils descendirent d'un car de la régie de Saône et Loire qui s'était arrêté au début du pont qu'ils franchirent en file indienne sur chaque trottoir. Les quatre résistants qui occupaient la guérite furent surpris au milieu de leur repas et durent se replier, l'un deux fut tué, ensuite la bataille dura une partie de l'après-midi. Devant la tournure prise par les évènements, nous étions partis nous cacher dans la prairie, mes parents, mon frère et moi ainsi que des voisins. Lorsque la fusillade s'est calmée, nous avons vu une fumée s'élever depuis le sud d'Arciat. «Les allemands mettent le feu au hameau!» avons-nous pensé. Mes parents avaient l'impression que c'était notre ferme qui brûlait. Nous sommes revenus avec beaucoup de précautions, mais les allemands étaient déjà repartis après avoir mis le feu à la première ferme du hameau d'où étaient partis les coups de feu. Il faut saluer le courage des pompiers de Cormoranche de l'époque, qui n'hésitèrent pas à intervenir sitôt les allemands partis, aidés par une partie de la population car, à cette époque, la pompe à incendie à bras devait être alimentée en eau par de nombreuses personnes faisant la chaîne avec des seaux en toile depuis le plus proche point d'eau. Les dégâts furent limités à la destruction d'un hangar, mais les pièces d'habitation furent protégées.

Après le débarquement en Provence des américains et des français, le 15 août 1944, l'armée allemande commença un repli vers le nord de plus en plus rapide.

Presque tous les jours, les avions alliés venaient mitrailler les convois allemands qui battaient en retraite. Le 2 septembre 1944, un fort détachement allemand fit halte à Cormoranche, occupant les maisons et réquisitionnant tout ce qui pouvait servir à leur fuite; chevaux, avec chars, bicyclettes.      
Ce jour-là, il plut toute la journée, ce qui empêcha l'aviation alliée d'intervenir. A Arciat, nous n'avons vu qu'un seul soldat allemand qui recherchait un vélo, mais comme ils étaient bien cachés ou dépourvus de pneus, il dut repartir les mains vides.
 



Le dimanche 3 septembre, vers 5 heures du matin, une explosion formidable secoua la maison en brisant toutes les vitres des fenêtres côté ouest. Je dis à mes parents: « C'est sûrement le pont d'Arciat qui vient de sauter, je vais voir ... »
Dès que j'arrivais au bord de la Saône: Quel choc ! Malgré la nuit encore noire : PLUS DE PONT ! un grand vide à la place, incroyable !
Pour protéger leur retraite, les allemands avaient détruit notre pont 40 ans jour pour jour après son inauguration.
Dans la matinée, le beau temps est revenu, les allemands étaient tous repartis.
C'étaient les derniers que nous ayons vus. Tous les habitants de Cormoranche et de Crêches sont venus voir ce qui restait de leur pont et tous restaient stupéfaits devant une destruction aussi radicale. L'Ain et la Saône et Loire étaient désormais séparés. Très vite, le jour même, des gens qui possédaient un bateau s'établirent passeurs et permirent la circulation des piétons et des cyclistes d'une rive à l'autre.


Le lundi 4 septembre 1944, une rumeur déferla sur le village et sur les hameaux.
Les Américains arrivent Il! En effet, les troupes américaines remontaient la rive  gauche de la Saône, bientôt suivis sur la rive droite par l'armée française du général De Lattre. Quel soulagement! Nous étions délivrés! Fini le cauchemar.
Sur la Saône, un bac fut installé assez vite ce qui permit le passage des attelages et des autos.
Le déblaiement de centaines de m3 de maçonnerie commença presqu'aussitôt mais dura très longtemps car après la guerre, les moyens mis en œuvre étaient assez réduits.
Puis vint la reconstruction d'un autre pont, les piles en premier, ensuite le pont métallique construit sur la berge côté Crèches fut poussé tout doucement sur les piles. Lorsque je suis parti faire mon service militaire en octobre 1950, le pont était presque poussé jusqu'au milieu de la rivière, et lorsque je suis revenu à ma première permission après quatorze mois en Algérie, tout était terminé et j'ai pu emprunter le pont pour rentrer chez moi.

 



Note sur le port d'Arciat (coté Crêches sur Saône)



Le hameau d'Arciat en 1911.








N° 1 et 2 : Antoine PERRIN et Françoise TUPINIER.

N° 7 à 11 : Jean Marie BESSON décédé à Cormoranche le 1/05/1919 à son retour de guerre (voir page consacrée à ce soldat).
 - Jeanne Antoinette Valérie née le 28/10/1906; mariée à Cormoranche le 12/11/1927 avec Jules Couturier.
 - Marie Catherine née le 12/04/1908; mariée à Macon le 17/05/1930 avec Ali Ben Abed LABED; remariée à Macon le 17/05/1942 avec Ali Ben Abed LABED (?); décédée à Macon le 20/10/1965.
 - Marie Joséphine née le 31/12/1909; mariée à Cormoranche le 15/11/1930 avec Antoine Gabriel PARDON.
 - Hélène BESSON née le 29/04/1914

N° 25 : Pierre Claudius HYVERNAT.

N° 30 : Jean Claude PERRIN

N° 31 : Charles PERRIN

N° 37 : Jean Pierre ORGERET (lien 1 - lien 2)

N° 53 : Louis BETHURY (fils ne figurant pas sur le relevé ci-dessus) né en 1896; décédé le 26/04/1917 (voir page consacrée à ce soldat).
 - Rose née le 25/12/1899; mariée à Crèches le 22/12/1927 avec Henri BARRIER.
 - Marie née le 21/01/1905.
 - Henri né le 8/11/1906; marié à Saint Laurent le 28/03/1931 avec Léonie GREFFET; décédé le 9/08/1962 à Macon.
 - Germaine née le 21/4/1909; mariée le 17/05/1930 avec Pierre Marie VILLET.

N° 62 et 63 : Claude JOLY et Françoise BAJARD arrières grand parents de Roland PROLONGE.
Dernière ligne : Germaine PLATTARD : la mère de Roland PROLONGE.
                        Antonine JOLY : la grand mère de Roland PROLONGE.


La Saône et le hameau d'Arciat

Roland PROLONGE :
Au XIXe siècle la crue de référence reste celle de 1840 avec la destruction de plus de 100 maisons à Cormoranche.
Au XXe siècle j'ai noté comme crues importantes avant guerre ( + de 5.50 m) :
    - Mars 1906 : 5.68 m.
    - Janvier 1910 : 6.46 m.
    - Février 1910 : 5.66 m.
    - Décembre 1910 : 5.58 m.
    - Novembre 1913 : 6.05 m.
La Saône gelée : En 1911 un patineur parcouru 30 km sur la Saône gelée entre Macon et Tournus.

La pèche professionnelle : Au début du XIXe siècle la pèche dans la Saône par des pécheurs professionnels faisaient vivre de nombreuses familles; en effet la demande de poissons d'eau douce étaient très importante car le manque de transports frigorifiques rendait impossible le ravitaillement en poissons de mer pendant la saison chaude.
Suivant la saison différents modes de pèche étaient pratiqués :
  - la pèche à la comble (grande senne) ce qui nécessitait une équipe de 10 à 15 personnes.
  - la pèche au tramail(1) : on entourait un herbier avec le filet puis on chassait les poissons à grands coups de perche pour qu'ils se prennent dans le filet.
  - l'épervier était utilisé pendant la saison chaude pour ravitailler en petite friture les restaurants du bord de l'eau.
  - les nasses placées dans les passage aménagés dans les jonce et les roseaux.
 


Pèche à la comble

Pèche à l'épervier

Pendant les crues de printemps des verveux étaient placés dans les fossés ou le long des buissons immergés surtout pour prendre les brochets abondants à cette époque.
Le carrelet et les araignées (filets maillants) étaient également utilisés.
Les poissons pris étaient stockés vivants dans de grands viviers compartimentés et percés de petits trous pour renouveler l'eau (ces viviers étaient appelés Beches).
Si une partie de la pèche était vendue sur place une part importante était envoyée à Lyon dans les viviers descendus par remorqueurs et vendus à des négociants en gros.
Types de poissons péchés : brochet, perche, tanche, anguille, carpe, chevesne, brème, rousse, petite friture.
Actuellement la pèche professionnelle à presque disparue; les causes :
 - les dragages qui ont bouleversés les fonds entrainant la disparition des joncs et des herbiers, refuge des poissons.
 - le passage des gros bateaux,
 - la pollution.

(1) Filet mouillé verticalement, composé de trois nappes, deux extérieures à larges mailles et une intérieure à mailles beaucoup plus petites, qui constituent un piège dans lequel le poisson demeure prisonnier.

Les 4 pécheurs d'Arciat en 1911


Source   HYVERNAT Claudius

Recensement Cormoranche 1931 - Arciat -

BETHURY Louis

Né à Cormoranche Arciat le 17/06/1872.

LOUPFOREST Jean François

Né à Cormoranche Arciat le 17/11/1859.

BESSON Jean Claude

Né à Cormoranche le 9/02/1881; marié à Cormoranche le 14/11/1909 avec Marie Claudine LOUPFOREST.
Il décède le 4/05/1914 à Arciat.